Ce matin là c'était un homme de bonne humeur qui se présentait devant la magnificence du lever de Râ. Sa majesté le soleil honorait chaque jour les mortels en colorant le ciel sans nuage de nuances orangées comme un avertissement. Malheur à celui dont le regard trop téméraire en s'attardant à l'horizon croiserait l'éclatante lumière de l'astre totalement dévoilé...
Mais tout le monde savait cela si ce n'est quelques bambins qu'on se hâtait par la voix ou le geste de convaincre de détourner les yeux. Imamedou tourna son regard vers le Nil en s'étirant. Les raisons de sa joie étaient tout autres. Sa compagne était retournée vers sa couche depuis quelques jours déjà. Il estimait sa mission terminée pour cette année. Pharaon aurait ses blocs de pierres pour l'édification de statues comme il le souhaitait. Après de nombreux débats et pots de bière avec les chefs carriers, la possibilité d'extraire deux, voire trois obélisques était envisageable. Il avait de quoi être satisfait. De plus, cette nuit là, j'étais restée silencieuse en ne réclamant pas le sein de ma mère. Simple négligence de ma part...
La saison des moissons s'achevait et déjà les prêtres du temple de Khnoum {le dieux à tête de bélier. C'est mon dieu préféré !}
Sur l'île de Yebu (Éléphantine), en face de la ville, descendaient chaque jours les marches d'une construction qui les menaient au niveau du fleuve. Des repères sur un mur leur permettaient de juger le niveau de l'élévation de l'eau. {Vous appellerez cela un "nilomètre" Mais nous, le système métrique on ne connaissait pas... }.
Quelques autres de ces installations creusées aussi à même la pierre existaient sur le cheminement du Nil. Ainsi Pharaon pouvait être informé au plus juste de cet événement vital pour son peuple et sa nation. {Le calendrier officiel Égyptien ne tenant pas compte, à l'époque du quart de journée qu'il fallait ajouter aux 365 jours de l'année, on préférait officieusement se fier au fleuve. L'Égypte n'est elle pas un don du Nil ? }
Cela faisait également l'objet de fêtes religieuses ce qui était la moindre des chose.
Sa gaîté l'emportant il dirigea ses pas vers la rive cherchant un lieu dégagé peu profond ou il pourrait se baigner en toute sécurité. C'est à dire celui où il allait déjà enfant... Ce n'est pas que les crocodiles abondaient au niveau de la cataracte. Ils avaient migrés depuis longtemps un peu plus au sud dans des eaux plus calmes et plus giboyeuses. On n'ignorait pas cependant que l'animal malgré ses airs impressionnants resterait toujours un curieux, opportuniste sous l'aspect d'un original avec un certain sens de l'humour. {Pas toujours apprécié cependant }.
Méfiant, après avoir abandonné son pagne sur un rocher et avant de se mouiller, dans tous les sens du terme... Il scruta l'étendue d'eau. Rien d'anormal. Ah si ! Vers le milieu du fleuve, une forme grise, allongée en suivait le cours. Il plissa naïvement les yeux espérant avoir une vue plus précise. La forme heurta un rocher bascula de sorte que son arrière se retrouva devant... Ce n'était qu'un tronc d'arbre porté par le courant. Chose régulière dans bien de grandes rivières, mais sans doute voulait il retrouver des émotions de son enfance. Cela expliquait pourquoi il était plus réceptif aux événements qui survenaient à l'instant. D'ailleurs ce même événement lui fit se rappeler d'une histoire qu'il avait déjà racontée à ma soeur et à mon frère... Et que bien sur il me raconta quand je fus en âge d'entendre, de comprendre et de regarder mon père avec des yeux émerveillés pour son plus grand bonheur.
En pénétrant dans l'eau à peine fraîche ils se racontait cette histoire une énième fois afin de la garder en mémoire. Celle-ci tiendra toujours de la légende, c'était il y a si longtemps.
Les Dieux avaient à l'époque des sentiments voisins de certains humains et pas vraiment dignes de leurs états divins. Deux frères, une soeur devaient régner sur l'Égypte selon les voeux de leurs parents Geb le père, la terre et Nout la mère, le ciel . Osiris avait épousé sa soeur Isis, la magicienne, chose naturelle à l'époque pour les familles royales. Le couple devait régner sur les terres fertiles du pays. Seth, le frère un peu moins doté par la nature { hi hi, ce sont des dieux et ils ont des problèmes génétiques... Seth,vraiment pas de chance... }
n'obtenais que les terres de sable : les déserts. Jaloux il complota contre son frère et en usant de ruse, il pu le jeter dans le Nil enfermé dans un coffre où il mourut.
Isis, informée des faits { rien ne reste jamais secret longtemps chez les dieux }
suivit le cours du fleuve et fini par le retrouver. Elle ramena la dépouille dOsiris en Egypte mais Seth le sut. Il retrouva le corps et le dépeça en quatorze ou quinze morceaux qu'il réparti sur le sol égyptiens. Isis en épouse aimante repartit encore une fois en quête de son époux à travers l'Égypte. Sa volonté et la force de son amour l'aida à reconstituer le corps de son amant, de même chair qu'elle. Avec des bandelettes de lin elle réunit chaque partie du corps pour lui redonner forme humaine, les hommes étant à l'image des dieux... Mais l'oeuvre accomplie elle vit que la virilité de son frère manquait...
Après un long soupir elle réfléchit longuement sur sa recherche. Il en ressortit que toutes les parties du corps de son époux avaient été retrouvées sur le sol, mais aucune dans le Nil. Pourtant c'était si simple de laisser au fleuve le loisir de tout disperser vers le delta, enfin vers la mer ou la magie d'Isis trouvait sa limite. Mais peut-être était-ce déjà trop tard ? Elle décida de chercher quelques informations auprès des habitants des eaux. Thouéris, la déesse hippopotame divinité protectrice de la famille qu'on dit épouse de Seth fut la première visitée. De caractère difficile sans doute du fait de ses nombreuses charges divines auprès des humains, elle ne fut guère loquace avec Isis, mais elle lui conseilla vivement de voir auprès de son colocataire le dieux crocodile. Sobek. Vorace, glouton, déifié par la crainte que ce reliquat de la préhistoire entretient auprès des riverains du Nil. { Les avis diffèrent. Globalement, il ne serait ni trop bon, ni trop mauvais : il mange à tous les râteliers ! Un opportuniste, je me répète. }
C’est dans son activité habituelle, lézardant au soleil, qu’Isis retrouva Sobek. Il n’ignorais pas qui elle était et il lui fit bon accueil. La déesse prit quelques distances cependant. L'aspect monstrueux et inexpressif de son interlocuteur la rendait prudente, bien que par son statut elle n'avait rien à craindre. Toutefois l'histoire divine s'écrivait au fil de son action, l'objectif devait être atteint. Elle ne devait prendre aucun risque.
Le dieu crocodile, comme les autres dieux, connaissait la mésaventure d'Isis mais il resta évasif dans ses réponse. Le Nil est si large et si long, les berges encombrées de roseaux... Il n'avait rien vu, on ne lui avait rien rapporté. L'insistance justifiée de la compagne d'Osiris devenant plus pressante :
- "peut être les poissons", lança t'il en passant sa langue sur ses dent acérées. - "Il y en a de si gros ... "
- "Ils n'auraient fait qu'une bouchée de ce modeste muscle, s'ils l'auraient trouvé". Crut -il bon d'ajouter.
Isis repartit furieuse. Elle n'avait en rien précisé les éléments du corps qu'elle recherchait encore...
Sobek, satisfait de l'effet inattendu de sa remarque, se mit à l'eau et partit à la recherche d'un repas éventuel, plus consistant que ce qui venait d'être évoqué. Aurait-il été doté du nécessaire qu'il faut pour rire de son entrevue avec Isis qu'il en aurait ri... Cela aurait été la première, mais certainement la dernière fois.
Sa désinvolture, son irrespect, ses mensonges rapportés à Amon secret et Ptah tout puissant par la future déesse mère, Isis, lui valurent un châtiment pour l'éternité.
On le priva de sa langue afin qu'il ne mente plus...
{Comme c'était compliqué de punir un dieu, à ce point, on ne lui en supprima que l'usage. Si vous ne me croyez pas, tirez la langue à un de ses descendants. Il n'en fera pas autant. Ne le faites pas de trop prés car s'il vous attrape vous aurez le plus grand mal à vous en débarrasser. Il s'attache facilement mais plus pour des raisons alimentaires qu'affectives. Je vous aurai prévenus... }
Les appels de Ménât sortirent Imamedou de son rêve. Il se hâta de rejoindre la rive et son vêtement pour ne pas paraître nu devant sa servante. En tant que maître il ne devais pas se sentir gêné mais l'ayant côtoyée depuis l'enfance il lui vouait une certaine affection qu'il ne voulait pas ambiguë. Sa mère l'avait élevé et elle avait été choisie pour être ma nourrice {en clair elle ne le laissait pas indifférent. Sacré papa. Le coeur, c' est ce qu'il avait de plus grand et ses obligations envers Pharaon : le plus contraignant }
En ajustant son pagne il aperçut en contre-jour celle qui l'avait appelé. En lui souriant il se dit que Râ, ou Rê ou le dieu solaire était bien là pour le bonheur des hommes...
Feignant l'indifférence comme le font toutes les femmes dans des situations où elles savent parfaitement où elles en sont, la belle Ménât annonçait à son maître qu'un messager de Pharaon l'attendait depuis peu à la maison d'Ankhou.
La nouvelle contrariait son retour dans son foyer sur Thèbes et assombrit son visage. Ni lui, ni Ménât, bien plus tard quand il me racontèrent au fil des jours leur histoire dont je vous laisse quelques bribes ici, n'osa me dire quel juron il lâchât à cet instant. Sans doute fut il pris en compte pour la pesée de son coeur devant Osiris et ses quarante-deux assesseurs le moment venu...